Auteur : Mathieu Grandjean
Les médias : histoire d’une fulgurante ascension
Nestore pense le lieu comme un média, comme un des médias de demain. Dans la lignée d’un premier billet d’humeur à ce sujet, Nestore vous propose de rentrer dans une série d’articles présentant le monde des médias, ses décideurs, ses enjeux et le futur que nous envisageons. Pour entamer cette série, voici une explication du paysage des médias et de leur expansion à travers les siècles autour d’un questionnement sur le devoir des médias.
Emergence et développement
Il y a 40 000 ans, l’homme préhistorique commençait à parler et à peindre. Il exprimait déjà le besoin de transmettre aux générations suivantes, de communiquer des informations.
Si on pense le média comme tout ce qui permet de véhiculer l’information, il est essentiel de noter l’importance des transformations technologiques ; les progrès des transports sont par exemple un rouage essentiel dans cette progression. La transformation de la société a également considérablement joué en faveur de ce développement : la bourgeoisie, qui souhaitait remplacer l’aristocratie pour faire émerger une société plus éclairée, a consigné par écrit nombre d’innovations. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers) promeut cet universalisme.
Dans notre acceptation actuelle du terme, les innovations médiatiques se sont aussi succédé (affiche peinte au Moyen Age, imprimerie au XVème, presse écrite au XVIIème, télégraphe en 1837, téléphone en 1876, télévision 1880, radio en 1890 et cinéma début 1900) pour conférer une importance croissante aux médias dans la vie publique.
Les médias sont alors autant source d’information que d’expression artistique. L'affiche donne des d'œuvres d'art avec Jules Chéret, Henri de Toulouse-Lautrec, Cassandre, Leonetto Cappiello par exemple. Les frères Auguste et Louis Lumière réalisent la première projection collective gratuite en 1895 ouvrant la voie au 7ème art.
Cependant, c’est pendant la guerre de 39-45, où les populations vivaient dans l’incertitude et la peur, que le poids des médias s’est vraiment accentué face au besoin d’être tenu informé. 39-45 fut aussi le théâtre de l’essor de la propagande et par ricochet d’une manière parfois détournée de traiter l’information.
C’est l'avènement d’un autre des grands pans des médias : la publicité. Au XIXème siècle, lors de la révolution industrielle, les progrès techniques vont permettre à la publicité de communiquer à travers plusieurs médias.
Le 16 juin 1836, Émile de Girardin fait insérer pour la première fois dans son journal, la Presse, des annonces commerciales, ce qui lui permet d’en abaisser le prix, étendre le lectorat et optimiser la rentabilité. La formule, révolutionnaire, est immédiatement copiée. La publicité média est née et fera le succès des régies comme des médias et contribuera fortement à leur développement.
Démocratisation des technologies
La première révolution va venir de la démocratisation de l’accès à ces technologies et de l’attrait pour celles-ci. La télévision notamment, qui allie image et son, rencontre un franc succès, devenant le média de référence durant toute fin du XXème siècle.
L’enjeu des médias est leur audience. C’est ce qui leur donne leur raison d’être, les fait vivre en leur assurant des ressources. Les audiences conditionnent aussi le contenu que proposent les médias. Ainsi les audiences radio décident très vite de la grille de l’année suivante.
L’accès au plus grand nombre est donc une clé du développement et un passage obligé. On peut y avoir alors deux logiques à l’oeuvre : des avancées technologiques pour donner accès aux médias à tous et une diversification des contenus pour attirer de nouveaux consommateurs. L’audience est alors morcelée (mesure des parts d’audience, par quart d’heure moyen, durée d’écoute...) et les programmes adaptés (les Feux de l’Amour sont longtemps restés le très solide leader chez les ménagères de moins (et oui vous êtes peut-être dans la cible !) de 50 ans).
Jusque dans les années 1970, le marketing est peu impliqué dans la stratégie publicitaire, laissant libre cours à la création. On vous recommande d’ailleurs l’univers fascinant et décapant de Mad Men, série aux 15 Emmys et aux 3 Golden Globes qui illustre fidèlement cette période à New-York.
C'est dans cette décennie que se recentre la publicité autour du produit ou service qu'elle promeut, avec le développement d'idées comme le positionnement ou la notoriété et l'apparition d'outils fiables pour mesurer les retombées publicitaires. L’âge d’or du marketing peut commencer. Les marques s’approprient dès lors totalement ces supports et on entre en plein dans la société de consommation.
Mais si le paysage se structure et se professionnalise, une grande métamorphose va rebattre les cartes.
La révolution digitale
Si la guerre est de nouveau à l’origine de cette révolution ; Colossus, le premier ordinateur a été conçu pour décoder les communications des sous-marins allemands, le réseau informatique de radars SAGE pour contrôler les frontières aériennes… ; l’amélioration des services et la multiplication des réseaux donnent très vite lieu à une utilisation civile. Le moteur de recherche Google naît en 1997. En 2014, il y a 1 milliard de sites en ligne et 3 milliards d’internautes. L’information est alors partout (on appelle d’ailleurs aussi cette révolution, révolution des technologies de l’information).
Tous les usages sont modifiés, la manière de consommer, la durée de consommation, les supports, le type de contenu...
Trois temps forts sont d’ailleurs à noter dans cette révolution : la généralisation de l’ordinateur portable, l’explosion d’internet et l’apparition du smartphone.
La logique à l’oeuvre n’est plus alors comment je fais augmenter le nombre de mes potentiels récepteurs mais comment je me distingue parmi le flux continu. La primauté ne devient plus la qualité de traitement mais sa vitesse, la personnalisation.
Un bouleversement plus profond, l’apparition des réseaux/médias sociaux
On peut s’interroger sur ce postulat, c’est pourtant là, le plus grand bouleversement des médias.
Le libre accès à l’information a toujours été une volonté et l’accroissement des consommateurs, un besoin corrélé. La révolution digitale n’en est que l’aboutissement.
Les médias sociaux changent le paradigme. L’information n’est plus concentrée, elle n’est plus différée. Elle est partout, elle est immédiate, elle est le fait de tous et elle est pour chacun.
Facebook regroupe 2 375 millions d’utilisateurs actifs (auxquels s’ajoutent 1 600 millions pour Whatsapp, 1 300 pour Messenger et 1 000 pour Instagram), WeChat, 1 112 millions en juillet 2019 (Sources : Statistica)
Tous les continents, toutes les générations, toutes les classes socio-professionnelles interagissent au travers des mêmes plateformes, des mêmes médias. Le sens de la liberté d’informer a lui aussi évoluer. Car le filtre du média s’est résorbé à la lecture de chacun de son fil d’actu et à ce qu’il choisit de refléter sur son wall, ses stories… Internet qui représentait à l’origine un idéal libertaire où la notion de choix était prépondérante est aujourd'hui verrouillé par des algorithmes auto-centrés sur l’utilisateur.
C’est l'avènement de la nouvelle économie, qui s’affranchit des frontières et tous les acteurs doivent revoir leur stratégie, à commencer par les annonceurs et les régies.
Certes, certains gouvernements parviennent encore à la contrôler en la jugulant car c’est la condition sine qua non de leur maintien au pouvoir. On en fait même (en tout cas il n’est pas totalement insensé d’y croire) une des principales clés de la dernière élection présidentielle de la plus grande démocratie du monde (cf. le scandale Cambridge Analytica) !
Les Fake news ont pris le relais des journaux satiriques, à même de créer défiance généralisée dans les élites ou mouvements de foules.
Il y a donc un besoin d’ordonner cet ensemble dont la cohérence à vaciller.
De nouveaux modes de consommation donc de nouveaux risques
Néanmoins, ce paysage va encore évoluer. De nombreux experts et des personnalités pointent du doigt ces nouveaux médias. Les réseaux sociaux nuisent gravement à l’humanité titrent les Echos comme un rappel aux avertissements des paquets de cigarettes et alertent sur la servitude créée par les GAFA qui parient sur “le marché de l’attention”.
Chris Hughes, un des fondateurs de Facebook, appelle à son démantèlement quand les nouvelles générations s’en désintéressent au profit de nouvelles plateforme (Tiktok, Discords…). L'utilisation détournée de ces plateformes inquiète sociologues comme gouvernements : pratiques de harcèlement révélées au grand jour (cyberpédophilie, harcèlement entre enfants ou adolescents, ligue du LOL,...), difficultés à contrôler et à faire cesser les contenus haineux, injurieux, voir terroristes, failles de sécurité ...
Il est urgent de mieux appréhender ces nouveaux médias, de former et d’alerter les consommateurs aux dérives potentielles et surtout de légiférer pour protéger les utilisateurs.
La CNIL, l’Europe (RGPD) et le règlement ePrivacy vont dans ce sens pour limiter l’accès au données des utilisateurs. Mais les récentes annonces de Google et Apple bloquant les cookies tiers, si elles sont louables au premier abord, vont acter la concentration de la maîtrise de la data, nouvel eldorado des entreprises, et une perte de contrôle plus grande encore sur la valeur de l’information à laquelle nous avons accès.
Le pouvoir des médias prendre toujours plus d’ampleur. C’est encore plus frappant au regard des devoirs qui leur incombent, qui eux tendent à diminuer. Vérification des sources, des informations, analyse des faits, présomption d’innocence, respect des personnes et des organisations ; tout cela n’est plus.
Dès 1993, Jacques Rigaud, ancien PDG de RTL et directeur de cabinet du ministre des affaires culturelles, écrivait : “Le règne de la politique spectacle, des sondages et du marketing confère aux médias un rôle qu’il est permis de juger excessif. Par des émissions racoleuses où la fiction se confond avec la réalité et le débat avec le divertissement, par un esprit de compétition brutale et cynique qui fait perdre de vue les exigences élémentaires de la déontologie de l’information, [...] qui troublent le fonctionnement normal de l’institution judiciaire, il arrive que les médias pratiquent un véritable parasitage de la démocratie.”
Il n’en serait que plus consterné encore aujourd’hui.